Notes et avis des amateurs de vin sur les applis : Score parfait ou effet boule de neige ?

28 août 2025

Les applications communautaires du vin : un phénomène qui s’installe

Depuis une décennie, le numérique s’est invité à table. Les applications communautaires autour du vin (Vivino, WineAdvisor, Twil, Le Figaro Vin, etc.) caracolent dans l’App Store, avec des millions de téléchargements à la clé. En France, pays de Bacchus par excellence, 75 % des amateurs de vin connectés consultent ou publient des avis en ligne avant d’acheter une bouteille (source : Wine Intelligence, 2021). Jusque-là, rien de très neuf : la logique TripAdvisor s’invite dans le chai. Mais que valent ces avis ? Ont-ils vraiment un impact sur nos choix ? Et pour les vignerons, c’est jackpot… ou roulette russe ?

Pourquoi les avis d’utilisateurs pèsent dans la balance (et dans la cave)

Les consommateurs français font partie des plus gros contributeurs sur les applis vin, particulièrement Vivino, qui affiche près de 22 millions d’évaluations enregistrées par des utilisateurs situés en France (chiffres Vivino, 2023). L’avis “d’un autre que moi” est devenu le réflexe numéro deux après le conseil du caviste : près de 61 % des acheteurs hexagonaux affirment consulter ces notes et avis au moins une fois avant l’achat (Wine Paris & Vinexpo, 2023).

Mais pourquoi ce succès ? Quelques raisons majeures guidant ce phénomène :

  • Démocratisation du commentaire œnologique : Les applications décomplexent l’acte de critiquer un vin, sans avoir besoin de sortir tout le champ lexical du Guide Hachette.
  • Besoin de réassurance : Face au rayon saturé et à la peur de mal choisir, l’avis d’un “pair” rassure.
  • Instantanéité : En 1 scan d’étiquette, verdict, conseils, et moyenne mondiale tombent. Effet addictif garanti.
  • Caractère communautaire : Les utilisateurs se prennent au jeu, notent, argumentent leurs avis, et se constituent parfois un carnet de dégustation personnel… partagé avec la planète.

Fiabilité : qu’y a-t-il vraiment derrière la moyenne ?

On touche ici le grand paradoxe : plus la note se veut “objective” (grâce à la multitude), plus elle révèle parfois des biais.

  • Le biais de l’entre-soi : En France, la majorité des notes est donnée par une communauté d’utilisateurs relativement homogène : urbaine, trentenaire, CSP+. Cela influe sur les styles de vins sur-notés (par exemple, le rouge souple, fruité, à moins de 20 €) et sous-représente des profils plus classiques ou niche. (Source : étude Vin & Digital 2022, Sowine/SSI)
  • La pression du “Like” : Les utilisateurs, même dans le vin, tendent à noter plus généreusement qu’un jury professionnel. La note moyenne attribuée à un vin sur Vivino est de 3,6 sur 5 en France, quand la même cuvée peut difficilement dépasser 15/20 en concours (c’est-à-dire l’équivalent de 3/5, selon la grille d’équivalence officielle de l’OIV).
  • L’influence de la marque d’appel : Un Château Margaux ou un Châteauneuf-du-Pape bénéficiera d’un a priori plus positif à la dégustation… même si la bouteille ouverte, ce n’est pas l’extase. Le biais d’ancrage fonctionne à plein, comme l’ont montré plusieurs analyses croisées entre notes “aveugles” et notes “marquées”. (Voir La Revue du Vin de France, n°661, 2022)

Pour les amateurs pointus, il reste possible de filtrer, rechercher des avis détaillés, mais la masse écrase souvent la nuance. Un Saint-Joseph bio atypique pourra rester invisible face à la machine des best-sellers “notés 4,1/5 par 1000 personnes”.

Notes et recommandations : arbitres des achats et du “palmarès” online

Au fil des années, ces moyennes d’utilisateurs se sont muées en puissants leviers d’achat. Selon le baromètre Kantar “Les Français et le vin” (2022), l’indicateur de note en ligne influence directement le choix de plus de 42 % des acheteurs réguliers, devant le prix, la médaille, ou l’appellation.

Ce phénomène crée un effet d’entraînement, voire une “starification” de certaines cuvées. Voici ce qui se joue :

  • Effet “best-seller algorithmique” : Un vin qui affiche un 4,2/5 dès 100 avis va mécaniquement être mis en avant dans les tops des applis, générant de la visibilité et… de nouveaux achats-avis. Cercle vertueux, ou cercle fermé, selon de quel côté de la médaille on se trouve.
  • Valorisation immédiate pour les cavistes et e-commerçants : Les revendeurs n’hésitent plus à reprendre les notes “4+ sur Vivino” dans leurs argumentaires, aussi bien en ligne qu’en boutique.
  • Façonnage du goût : Avec la montée des “vins plaisir” (fruités, faciles, peu tanniques), le palmarès des applis françaises diffère nettement des scores professionnels ou de certains marchés anglo-saxons plus portés sur les vins boisés ou corsés (voir l’enquête Wine Searcher, 2023).

Des dérives ? Les limites du pouvoir communautaire

Tout n’est pas rose dans le monde des notes participatives. Le système recèle aussi ses travers :

  • Notes “troll” et règlements de compte : Certains utilisateurs notent mal une cuvée non pas pour sa qualité, mais parce qu’ils n’aiment pas son style ou son étiquette (oui, c’est arrivé, surtout avec les vins nature un peu hors cadre).
  • Fake reviews : Si la manipulation organisée reste marginale comparé à la sphère restauration/hôtellerie, quelques cas d’avis “achetés” ou de campagnes orchestrées ont émaillé la presse (L’Obs, 2022).
  • Uniformisation du goût : À force de faire remonter les mêmes vins aux meilleures places, les applications risquent de refermer le spectre de la découverte… et de dévaloriser des styles moins consensuels (vins oxydatifs, liquoreux à maturité, etc.).

La plupart des plateformes avancées ont pourtant renforcé leur arsenal de modération et de détection d’abus, mais la frontière entre subjectivité, mauvaise foi et simple méconnaissance reste fine.

L’impact du numérique sur la notoriété des domaines et la structuration du marché

Pour les vignerons et maisons de négoce, le passage par la case “notation communautaire” est aujourd’hui incontournable. D’après l’IFOP (enquête mars 2023), 58 % des exploitants interrogés estiment que leur présence sur Vivino a eu un effet positif sur leur visibilité, et près d’un tiers affirme avoir identifié un impact direct sur les ventes lors d’un bon “score”.

  • Effet booster sur les petits producteurs : Un vigneron inconnu mais bien noté peut percer localement ou à l’international, sans recourir à une armée de commerciaux ou critiques.
  • Pression accrue pour les domaines établis : Quand votre dernier millésime hérite d’une moyenne à 3,2/5 sur 500 avis, il faut se remettre en question… ou jouer du storytelling pour expliquer pourquoi.
  • Explosion de la data : Les données issues des avis, croisées à la localisation, permettent aux professionnels de mieux cerner les tendances : qui boit quoi, où, pour quel moment de consommation. C’est un vrai bouleversement pour le marketing du vin, autrefois basé uniquement sur l’intuition et le palmarès des guides (pour approfondir, Forbes France, analyse Digital & Wine 2022).
Application Nombre d’avis / France (2023) Score moyen d’un vin français Type d’utilisateurs dominant
Vivino 22 millions 3,6 / 5 Homme, 30-45 ans, urbain
WineAdvisor 2,7 millions 3,8 / 5 Mixte, 25-40 ans, France entière
Twil 750 000 3,7 / 5 Urbain, curieux, 28-40 ans

Données issues des communiqués officiels des applications, 2023.

Vers un darwinisme œnologique : pluralité ou formatage ?

La force (et le danger) des applications communautaires du vin réside bien dans leur capacité à orienter, en douceur, les goûts et achats d’un pays entier. La France, pourtant patrie du “goût personnel”, voit ainsi émerger des tendances standardisées, sous l’effet conjugué des scores algorithmiques et du phénomène de groupe.

Reste à savoir si ce modèle n’aboutit pas, à l’instar de la grande distribution il y a quelques décennies, à une forme d’uniformisation du paysage viti-vinicole. Certains domaines choisissent d’ailleurs de sortir volontairement de la course à la note, misant sur la rareté ou sur des canaux plus confidentiels (voir témoignages dans Terre de Vins, 2023).

Néanmoins, le chantier de la critique participative n’est pas figé. Certaines applis vont plus loin, proposant des options de “carnet de dégustation personnel”, la possibilité de comparer grands scores pro et scores amateurs ou encore des axes de recherche “hors-pistes” pour éviter le formatage. La marge de manœuvre existe, à condition que l’utilisateur soit curieux… et conscient du modèle.

Pour aller plus loin : conseils pour naviguer les avis dans les applis vin

  1. Prendre du recul sur la moyenne : Un 4,1/5 sur 12 avis n’a pas la même valeur qu’un 3,8/5 sur 2 000. Vérifiez toujours le nombre et la diversité des commentaires.
  2. Lisez les avis détaillés : Ceux qui argumentent (sur l’aromatique, la structure, l’accord, etc.) sont souvent plus fiables qu’une simple étoile jetée au vent.
  3. Expérimentez et notez pour vous : Utilisez l’appli comme un outil de mémoire et d’échange, mais gardez une part d’exploration hors des sentiers balisés.
  4. Interrogez les “palmarès locaux” : La France possède une diversité de styles, de régions et d’écoles de vinification. Un vin star en Bretagne n’est pas forcément un carton à Lyon ou Marseille… Et inversement !
  5. Méfiez-vous de l’effet mode : Un coup de cœur collectif, c’est bien, mais ce n’est pas une garantie d’adéquation avec votre palais.

Épilogue : la communauté, entre boussole et filtre de nos dégustations

Les avis d’utilisateurs français façonnent désormais la perception et la consommation du vin bien au-delà des tables familiales ou des pages de guides. Outil d’ouverture, mais parfois aussi vecteur d’un certain conformisme, le système des applis communautaires est à la croisée des chemins. Reste à chacun de (re)prendre la main sur son exploration, curieux et critique. À table, l’aventure reste ouverte… et l’avis aussi.

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