Classements et concours sur les applis communautaires du vin en France : miroir digital ou simulacre ?

11 octobre 2025

Le podium digital : comment les applis du vin montent-elles en compétition ?

Allez, plantons le décor. En France, l’offre d’applis communautaires de vin s'étoffe à vitesse grand V. Les têtes d’affiche ? Vivino, WineAdvisor, Twil, Le Vin L’opinion, Raisin… On en oublie forcément (l’obsolescence des apps allant aussi vite que celle des millésimes). Mais partageons un point commun : la plupart intègrent, sous une forme ou une autre, le concept de classement ou de concours. Attention, toutes ne le revendiquent pas de la même façon, ni avec la même transparence.

  • Vivino : C’est bien plus qu’un catalogue et un scanner d’étiquettes. L’app, qui dépasse les 65 millions d’utilisateurs dans le monde (source : Vivino), base tout sur la note communautaire et le « Top 1% » local ou international. Pas une compétition officielle, mais une compétition permanente.
  • WineAdvisor : Fonctionne sur le même principe, mais avec un impact plus marqué en France. Classements, coups de cœur de la communauté et « Wineadvisor Awards ».
  • Twil : Moins marathon du scoring, plus « carnet de dégustation » : on peut aimer, recommander, et – dans certains cas – voter lors d’opérations spéciales.
  • Raisin : Ici, pas de note, mais des recommandations géo-localisées et quelques prix décernés lors d’événements spécifiques, notamment pour les vignerons « nature ».

Classements : entre algorithmes, biais et jeux d’influence

Prétendre objectiver le goût via le digital ? Sur le papier, l’idée a de l’allure. En réalité, les classements communautaires sont souvent des constructions algorithmiques… et plus politiques qu’il n’y paraît.

  • La note moyenne lisse-t-elle la diversité ? Il suffit de regarder les meilleurs vins français sur Vivino : Bourgogne, Bordeaux, Rhône… pas ou peu de surprises. Les algorithmes valorisent la quantité de votes, la récence des avis, ou ajoutent des pondérations pour les ‘utilisateurs influents’. Des biais bien connus : on favorise spontanément les vins déjà populaires, au détriment des découvertes confidentielles. Selon un article de Decanter (2021), 70% des vins les mieux notés sur Vivino proviennent des cinq principales régions de France – image fidèle du marché ? Ou simple effet boule de neige ?
  • Effet « buzz » : la tyrannie du moment Certains vins ou domaines flambent sur les applis… portés par un post sur Instagram ou par un influenceur TikTok. On l’a vu en 2022 avec le rosé « Hampton Water » (la cuvée de Jon Bon Jovi, pour l’anecdote) : entrée soudaine dans le top Vivino France lors de la sortie, avant déclin tout aussi rapide. Autrement dit, si la tech promet l’objectivité de la masse, elle relaie avant tout la dynamique du moment.

Concours numériques : la guerre des badges et des trophées

Pas de concours officiel – façon « Meilleur Sommelier de France » – dans les applis communautaires. Mais une inflation de « badges », « awards » et opérations spéciales. Tour d’horizon des dispositifs les plus observés :

  • Badges et trophées personnels : Presque toutes les apps récompensent la participation (nombre de vins notés, diversité des régions ou cépages, achats réalisés). Cela gamifie l’expérience : utile pour fidéliser, pas un gage de compétence réelle – qui n’a jamais vu un amateur collectionner les badges sur Vivino après avoir noté 50 vins d’entrée de gamme en grande surface ?
  • Concours de la communauté : Ici, ce sont des prix ponctuels – « vin de l’année », « favori du mois », voire « plus grand nombre de dégustations lors d’un événement ». WineAdvisor, Vinoga ou Twil en proposent à certains moments clés (fêtes, salons, foires aux vins).
  • Concours pour professionnels : Certaines apps croisent avec le monde réel : Raisin met parfois en avant les lieux ou vignerons récompensés à des salons (La Dive Bouteille, Salon des Vins de Loire), mais cela reste marginal par rapport à l'écosystème des concours classiques comme le Concours Général Agricole.

Classements digitaux : règlement du jeu et transparence ?

Noter, classer, élire : très bien, à condition de connaître les règles du jeu. Or, rares sont les apps qui documentent clairement leurs algorithmes. Points flous :

  • Poids des notes : Un profil notant 1000 bouteilles en deux ans pèse-t-il plus qu’un néophyte ? Les apps le disent rarement.
  • Fake ratings/bots : Sujet qui fâche. Vivino affirme utiliser des filtres anti-fraude, mais des établissements ont déjà été épinglés pour « gonfler » leurs scores à coups de comptes fictifs (source : Vitisphere, 2020).
  • Mise en avant commerciale : Si Twil ou WineAdvisor jurent leur « indépendance », la surreprésentation de vins partenaires dans certains tops interpelle. Sponsorisé ou pas ? Rien n’est jamais très explicite.

Poids réel des concours numériques : impact pour les vignerons et les amateurs

Le fleurissement des classements sur les applis s’accompagne aussi de critiques dans la filière vin.

  • Visibilité boostée pour quelques-uns Pour un petit domaine, décrocher une place dans le Top 10 Vivino France ou WineAdvisor, c’est un coup de projecteur immédiat, parfois une explosion des ventes en ligne. Deux exemples récents : le domaine Landron-Chartier en Loire, ou le Château de Cerons à Bordeaux, tous deux propulsés grâce à des notations massives (source : Les Échos, septembre 2023).
  • Un effet « winner takes all » Mais la mécanique favorise la concentration : mieux vaut déjà être visible, salué, et distribué dans les bons réseaux. Les outsiders (petits nouveaux, régions encore confidentielles) n’ont guère l’occasion de bousculer la hiérarchie – sans intervention d'une campagne externe (critiques, médias…).
  • Pour l’amateur, un repère ou une roulette russe ? À la recherche du Graal en supermarché ? Un bon score aide à choisir… mais standardise le goût. S’appuyer uniquement sur les applis, c’est risquer de passer à côté de très jolis coups de cœur, hors des sentiers battus. Il y a chez une majorité d’utilisateurs une appétence à suivre la « majorité statistique », parfois au détriment de l’exploration. Source : enquête CREDOC « Applis et pratiques d’achat du vin », 2022.

Pourquoi ça marche ? Psychologie, gamification, réseaux sociaux

On aurait tort de voir le succès des concours et classements digitaux comme une simple mode gadget. Il répond à plusieurs ressorts bien connus :

  • Besoin de validation collective : Le vin, monde d’initiés, a toujours joué sur la reconnaissance (sommelier, guide, concours officiel…). Les applis démocratisent le phénomène – quitte à favoriser la course au consensus.
  • Effet « gamification » : Collectionner des badges, battre son record, décrocher un « trophée » : les designers des applis s’appuient sur les mêmes ressorts que les applis fitness ou les jeux mobiles. Motivation extrinsèque plus que passion du vin ?
  • Influence sociale : Noter, c’est aussi paraître. Être vu comme « celui qui connaît » ou « celle qui a goûté ». L’effet des classements a une dimension prestige, même numérique – selon une étude de Wine Intelligence (2022), 41% des 18-34 ans français déclarent poster sur les réseaux dès qu’ils dégustent une « belle » bouteille.

Jusqu’où ira la numérisation des hiérarchies du vin ?

Ces classements et mini-concours installés par les applis communautaires françaises dessinent une nouvelle façon d’aborder la compétition dans le monde du vin. Mais, loin d’être neutres, ils renforcent des dynamiques déjà présentes ailleurs : popularité, pouvoir des influenceurs, automatismes d’achat.

La suite ? On voit pointer de nouveaux outils : IA de recommandation, détections d'authenticité des votes, badges personnalisés en fonction du profil sensoriel… De quoi pimenter la compétition, ou creuser encore la distance entre l’immense majorité des vins confidentiels et un cercle restreint de superstars numériques. En attendant, il n’a jamais été aussi simple de scanner son étiquette et, en quelques secondes, rejoindre le bal des classements et concours : reste à savoir si l’on y cherche du plaisir… ou juste une médaille virtuelle de plus à afficher.

Sources utilisées :

  • Vivino (officiel, chiffres d’utilisation)
  • Decanter, « Vivino’s list of top rated French wines analysed », 2021
  • Vitisphere, « Vivino, une influence grandissante mais pas encore exhaustive en France », 2020
  • Les Échos, « Quand les applis font décoller les ventes de vin », septembre 2023
  • CREDOC, « Applis et pratiques d’achat du vin », 2022
  • Wine Intelligence, « Digital Wine Journeys », 2022

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