31 août 2025
Lorsque le vin rencontre la tech, certains imaginent une dégustation à distance, à grands renforts d’applications de reconnaissance d’étiquettes ou de notations partagées sur Insta. Sauf qu’aujourd’hui, une génération d’applis communautaires, nées de la passion – et parfois de la frustration – d’amateurs souhaitant vivre le vin autrement, bouscule la rencontre traditionnelle : celle qui se fait, verre à la main, mais aussi via les petits écrans.
Mais alors, ces applis sont-elles les nouveaux sommeliers de la convivialité ? Favorisent-elles vraiment la création d’événements, la multiplication des rencontres, les échanges en chair, en OS… et en bouchons ? Tour d’horizon chiffré et critique d’un phénomène moins gadget qu’il n’y paraît.
Il y a quelques années encore, les applis vin rimait surtout avec Vivino, CellarTracker ou Delectable : carnet de dégustation, scanner d’étiquette, note personnelle ou collective, voire gamification de la notation. Depuis 2018, le décor bouge avec une autre tendance : les applis conçues, non plus seulement pour noter, mais pour rassembler.
Derrière ces noms, une croissance parfois discrète, mais bien réelle : selon l’IFOP, 28% des jeunes amateurs de vin (18-34 ans) ont déjà utilisé une appli communautaire pour organiser une rencontre physique autour du vin en 2023 (étude IFOP Vin & Digital, 2023). Un signal faible qui dit beaucoup de l’évolution des pratiques.
Petit florilège de ce qu’apportent ces applis à ceux qui ont soif d’échanges – et pas que de grand crus :
Autant d’innovations qui ne relèvent pas du simple gadget numérique : en 2022, selon Wine Business International, 64% des organisateurs d’événements vin en France jugent que les applis communautaires leur permettent d’atteindre bien plus facilement de nouveaux participants, notamment en dehors des circuits pro classiques.
Le mouvement est encore marginal comparé à la galaxie du vin en ligne, mais il s’accélère, surtout dans les grandes villes françaises et les aires viticoles majeures.
Le public type ? Urbain, 25-45 ans, curieux, et souvent plus néophyte que “pur amateur éclairé”. Ce sont eux qui, précisément, peinent souvent à franchir la porte d’un club œnologique classique, réputé fermé, ou à se lancer dans l’organisation.
La France adore ses rituels, la table, le verre partagé (“convivialité” vient d’ailleurs de “convivium” en latin, le banquet). Mais la peur du faux-pas ou du “cercle d’initiés” freine souvent l’envie d’aller à la rencontre sur le thème du vin.
Les applis communautaires abolissent – ou du moins repoussent – nombre de ces barrières :
Attention toutefois à ne pas verser dans le mythe de la rencontre numérique qui résout tout. Plusieurs limites s’imposent :
Enfin, la culture française du vin, qui cultive encore volontiers le mythe de l’exception, rend la pénétration des solutions numériques moins immédiate que dans certains pays anglo-saxons. Un club de vin sur WhatsApp reste, pour beaucoup, plus naturel qu’un groupe sur une application dédiée.
Un mouvement intéressant des deux dernières années : la récupération du modèle “communautaire vin” par des pros de la restauration (bars à vin indépendants, cavistes, même restaurants étoilés). Pour eux, l’appli permet de :
Cette récupération ouvre la porte à un cercle vertueux : le professionnalisme de l’organisation se combine à la convivialité communautaire, pour des événements plus qualitatifs… ou parfois, tout simplement plus fréquentés.
Côté vignerons, certains commencent à s’appuyer sur ces canaux digitaux pour contourner la diminution de fréquentation dans les salons traditionnels : entre 2020 et 2023, les visites de domaine prises via une appli communautaire ont progressé de 36% (SOWINE/SSI).
Si la France voit éclore ces outils, elle ne les adopte pas partout sur le même mode que ses voisins. Face au pragmatisme de l’Italie (où la plateforme Vinerdì a séduit de nombreuses villes secondaires) ou à l’appétit des Etats-Unis pour le social wine (Wine & Friends, Winery Passport), les Français préfèrent la discrétion, la tribu locale, ou le micro-groupe.
La langue reste aussi une barrière : l’écosystème reste fragmenté, faute d’une application généraliste “Made in France” aussi dominante que Vivino pour les notes.
Bref, la révolution est en marche mais elle s’adapte, comme toujours, à la mosaïque de nos terroirs. Et il y a fort à parier que l’hybridation entre numérique et convivialité ne fait que commencer.
Ce qui s’ouvre, ce n’est pas la fin du contact humain, mais une réinvention, portée par la diversité des envies et des profils : du simple apéro entre voisins à l’organisation de voyages œnologiques via app, en passant par l’émergence de communautés “apprenantes” (« buveurs qui se forment entre eux »), le champ des possibles s’élargit.
Reste à savoir si les institutions, les interprofessions et les écoles de vin sauront elles aussi intégrer ces outils dans leur panel, ou laisseront le terrain à de petites startups parfois précaires mais pleines d’énergie.
Ce qui semble certain : dans quelques années, il sera tout à fait banal de rencontrer ses futurs amis, partenaires de dégustation ou fournisseurs de vins naturels… via une appli communautaire. Avec, comme toujours, la promesse essentielle du vin : ce qui compte, ce n’est jamais la technologie, mais bien la rencontre.
| Appli vin | Nombre d’utilisateurs FR (2023) | Événements créés/mois (FR) | Formats populaires |
|---|---|---|---|
| Vinizos | 15 000+ | 350 | Afterwork, visites, cuvées éphémères |
| WineShare | 5 200 | 80 | Vendanges, dégustations investisseur |
| Le Bon Goût des Copains | env. 2 000 | 45 | Dégustation à domicile, petites tables |
Sources : SOWINE/SSI, Sud Ouest, IFOP, rapports officiels des plateformes (2022-2023)